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Image by Barbara Rezende

Que fait-on des parkings ?

5' de lecture - publié le 13 mai 2022

Face aux enjeux écologiques et à la nécessité de rendre les villes denses vivables, la place de la voiture est remise en question. Qu’il s’agisse des comportements de chacun d’entre nous, ou des orientations politiques installées, tous les signaux vont dans le sens de la réduction de la place de la voiture au profit des modes de transports partagés et des modes actifs(i).

Si ces tendances sont déjà là, les besoins immédiats changent quant à eux assez lentement. Le décalage entre la situation future et les exigences actuelles est compliqué à gérer pour les projets qui se développent sur le long terme. C’est notamment le cas des projets immobiliers. Un immeuble construit en 2022 doit être adapté aux attentes des usagers actuels et aux exigences réglementaires en matière de stationnement par exemple. Et pourtant, il est probable que dans une dizaine d’années ces besoins seront revus à la baisse. Les places de parking construites aujourd’hui pourraient être des espaces perdus demain.

Dans cet article vous découvrirez des projets du monde entier qui traitent le sujet du stationnement de manière innovante et agile. Pour aller plus loin nous explorons le cas de la Suisse, où le nombre de voiture par habitant est supérieur à la moyenne européenne(1). Quelles sont les tendances observées dans la population suisse concernant la voiture individuelle? Quelles sont les orientations politiques qui dessinent l’avenir?

Introduction
Innovations
Des projets immobiliers à développer sur le temps long: comment concilier les besoins immédiats et ceux à venir ?

Autour du monde, des projets ainsi que des services tentent déjà de concilier le présent et l'avenir. Ainsi, les places de parking souterraines peuvent être reconverties en plateformes logistiques pour les livraisons dites du “dernier kilomètre” en plein centre-ville (Millenium Chicago, Finsbury Square, Fabric) ou bien accueillir des usages inattendus comme des cuisines de restaurant dédiées à la livraison exclusivement (Cloud Kitchens).

Par ailleurs, les nouveaux bâtiments peuvent prévoir la reconversion des places de stationnement en évitant de les construire en sous-sol et en adaptant déjà les inclinaisons de dalles et les hauteurs sous plafond. C’est le cas des bureaux de 84.51° à Cincinnati, de ceux de Netflix à Hollywood, ainsi que du futur parking public “Hotspot” à Ferney-Voltaire (France).

Des entreprises de service peuvent également être mobilisées pour mutualiser les places de stationnement et maximiser leur usage (JustPark, ParkJockey).

Enfin, des structures entières de parking peuvent être reconverties avec un peu d’imagination: on peut en faire un espace public (BlueRainbow), un hôtel (Summit Hotel), un espace de co-working (Peckham Levels) ou même des logements modulaires (ParkHouse).

 

Des projets de recherche sont également en cours de développement dans le cadre d’un concours lancé par Indigo. Dans cette veine, l’ambitieux projet Pop-Up, qui combine un réservoir d’eau, un parking et un espace public sur la même parcelle mérite d'être exploré.

Dans son étude du marché immobilier suisse de 2020, Crédit Suisse signale une forte baisse des revenus locatifs liés aux places de parking(2). Cette étude relève également l’incertitude face au besoin futur de places de stationnement. On ne sait pas combien seront nécessaires, ni où elles devront être localisées. En effet, la conscience écologique de la population, le renforcement des réglementations pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris et le développement des véhicules autonomes rebattent les cartes. On risque non seulement d’avoir moins de voitures en circulation, mais également de ne plus avoir besoin de stationner sa voiture à proximité de son logement puisqu’on pourra la faire venir toute seule à vitesse lente depuis un parking éloigné.

Il reste toutefois obligatoire des respecter les règlements en vigueur au moment de la dépose d’un permis de construire pour un nouveau projet, même si cela induit de construire des places qui risquent de devenir vacantes et se transformer en perte d’argent dans les prochaines années.

Face à ces incertitudes, la meilleure stratégie pour les investisseurs est de construire le moins de places possible, et d’adopter une attitude agile concernant celles qui doivent être construites. Concrètement, cela se traduit par la mise en commun de places, leur transformation et l'évolutivité des surfaces dédiées au parking.

Tendances sociales
Les comportements des suisses indiquent déjà une tendance à la baisse de l’utilisation de la voiture individuelle.

Les suisses âgés de 18 à 24 ans passent de moins en moins leur permis de conduire. En 1994 trois quarts des jeunes avaient le permis, contre seulement 60% en 2015(3), année de la dernière étude fédérale sur la mobilité. En revanche, la part de la population disposant d’un abonnement de transports publics est à la hausse. En dix ans, cette proportion est passée de 40% (2005) à 50% (2015)(3) rien qu’en ce qui concerne les abonnements de train. Avec moins de permis chez les jeunes, et davantage d’abonnements de transports en commun dans la population, la voiture individuelle tend à perdre lentement du terrain.

Cette tendance est également observée en ce qui concerne le nombre de ménages suisses possédant au moins une voiture. Bien que ce nombre reste plutôt stable, autour de 80%, le mouvement à la baisse observé depuis 2005 se confirme. En effet, entre 1994 et 2005 le nombre de ménages possédant au moins une voiture a commencé par augmenter, pour ensuite diminuer continuellement lors des études de 2010 et 2015. Ces variations sont minimes, de l’ordre de trois points sur dix ans, mais la tendance se maintient(3).

Par ailleurs, l’opinion citoyenne collective se montre également en défaveur de la voiture individuelle. Ainsi, lors d’une votation municipale de 2021, les genevois ont décidé de refuser la construction d’un nouveau parking en centre-ville avec deux tiers des votes contre ce projet(4).

Les professionnels de la planification urbaine revoient leur copie au sujet du stationnement

Depuis déjà une dizaine d’années, les planificateurs s’accordent à considérer les espaces de parking comme étant une utilisation inefficace du sol. Nous avons collectivement construit des places de parking à la fois trop nombreuses et sous-utilisées(5). Ce double problème est lié à la planification urbaine par la méthode du zonage monofonctionnel, qui consiste à construire la ville en partant du principe que chaque activité humaine a besoin d’un espace dédié. En planifiant des zones à usage unique il est d’une part impossible de partager les places de stationnement, et elles doivent d’autre part être construites en grande quantité, puisque la population se déplace d’une zone à l’autre en voiture. Nous avons donc trop de places de parking à certains endroits, et elles sont sous-utilisées.

En même temps qu’ils remettent en question le zonage monofonctionnel, les urbanistes changent aussi les pratiques concernant les exigences minimales en termes de stationnement. Il a en effet été observé que lorsqu’on exige un nombre minimal de places, on augmente l’usage des transports individuels motorisés, donc du trafic, et on diminue la densité de la ville(5). Ces trois éléments vont exactement à l’inverse de ce que les villes européennes cherchent à faire en 2022 concernant leur planification, puisque l’on veut désormais densifier et diminuer le trafic automobile.

D’après ce qui se profile dans le monde de la recherche, les nouvelles réglementations de stationnement pourraient aller vers une dérégulation totale ou partielle du marché: on arrêterait de fixer un minimum requis, tout en donnant parfois un maximum autorisé. Dès lors, c’est le marché qui aurait la responsabilité d’estimer le nombre de places de stationnement nécessaires dans tel ou tel projet immobilier. Des réglementations concernant le parking en tandem (une voiture derrière l’autre), le valet parking et le parking automatisé pourraient également voir le jour(5).

Tendances professionnelles

Les entreprises spécialisées dans la gestion de parkings, comme Indigo et Q-Park, se penchent elles aussi sur l'avenir de leurs propriétés. Indigo a d'ailleurs travaillé sur le sujet du "Parking du futur" avec le bureau Dominique Perrault Architecture. Les conclusions de leur réflexion sont présentées dans la vidéo ci-dessous.

Une volonté politique claire d’accompagner et accélérer la diminution de la part modale(ii) de la voiture

Tout comme les attitudes des planificateurs changent, les objectifs politiques des villes concernant la mobilité vont également dans le sens d’une diminution de la place de la voiture. Faisons ici un rapide balayage des politiques publiques adoptées dans certaines villes de Suisse Romande.

La ville de Lausanne annonçait dans son programme de législature 2016-2021 vouloir donner la “priorité aux transports publics et à la mobilité douce”. Dans le programme de législature actuelle, on parle d’aller “vers une mobilité active et apaisée”. En février 2022, trois résolutions ont été votées par le conseil municipal pour limiter la présence de SUV en ville. Ainsi, la ville de Lausanne organisera une campagne d’information sur le danger que représente le SUV pour les autres usagers, et différenciera le prix du macaron de stationnement selon la taille du véhicule(6).

Genève n’est pas en reste, le programme 2020-2025 du conseil administratif en exercice vise à “accompagner et encourager la mobilité douce et l’usage des transports en commun” et “réduire drastiquement les places de parking sur le domaine privé de la ville de Genève en vue notamment de la création de forêts urbaines”.

Vevey opte quant à elle pour des orientations un peu moins frontales dans son programme 2016-2021: il s’agit d’avoir moins de voitures dans la vieille ville, rendre les transports en commun plus attractifs et actualiser la stratégie de stationnement. C’est également le cas d’Yverdon-les-Bains, qui a développé un plan directeur du stationnement et installé des bornes escamotables autour de son centre-ville.

 

Notons ici que si les politiques restrictives en matière de stationnement concernent surtout les centre-villes, elles pourraient à l’avenir concerner les zones périurbaines. Certains chercheurs signalent déjà un angle mort des études de stationnement sur ce sujet(7). Il est probable qu’une fois que l’université se sera emparée de cette problématique, les habitudes des professionnels puis les ambitions politiques suivront.

Tendances politiques

(i) Transports en commun, voitures partagées, vélos et trottinettes partagés, vélo individuel électrique ou classique, marche …

(ii) Part modale: proportion de personnes utilisant un mode de transport donné par rapport à l’ensemble des personnes se déplaçant.

(1) Source: RTS, Plus de 4.5 millions de voitures sont immatriculées en Suisse, 10 décembre 2018.

(2) Source: Crédit Suisse, Un cycle sans fin - Marché immobilier suisse 2020, mars 2020.

(3) Source: Office fédéral de la statistique, Comportement de la population en matière de transports, 2017.

(4) Source: Tribune de Genève, Les habitants de la ville enterrent le parking Clé-de-Rive, 7 mars 2021.

(5) Source: Access magazine n°43, Parking reform made easy, 2013.

(6) Source: 24heures, Lausanne déclare la guerre aux SUV, 2022.

(7) Source: Journal of transport Geography vol.98, Parking in inner versus outer city spaces: Spatiotemporal patterns of parking problems and their associations with built environment features in Brisbane, Australia, 2022.

Notes et sources
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